Scout toujours ?

Cette année, j’ai franchi un pas supplémentaire dans mes pratiques Freinet en mettant en place une évaluation « par brevet ».

scout toujours jugnot

Scout toujours, un film de et avec Gérard Jugnot (1985)

J’avais évoqué la pratique de l’évaluation par brevet dans ce billet sur les modes d’évaluation sans note ; j’avais fait un premier bilan dans mon billet foutraque. Je m’imagine mal vous dire : bon, retournez lire ces deux billets, on en discute après. Il va donc y avoir quelques redites, et je prie d’avance ceux qui ont une bonne mémoire, ou qui découvrent ces billets à la suite, de bien vouloir m’en excuser.

Qu’est-ce que l’évaluation par brevet ?

Une pratique scoute

C’est aux scouts que l’on doit ce mode d’évaluation sans note. En 1931 paraît en France le premier Carnet de Badges, qui liste les insignes qu’un scout peut arborer en fonction de ses compétences, reconnues par sa patrouille. Il semblerait que les Scouts de France doivent cette innovation aux Eclaireurs de France, qui possèdent déjà un Livre des Brevets, mais je suis bien en peine de vous expliquer ce qui différencie les uns des autres, n’étant pas familière de cet univers.

Mais de quoi s’agit-il ? C’est un carnet qui liste des métiers ou fonctions (campeur, cuisinier, entomologiste, etc.) comme autant de compétences particulières à faire valoir. Chaque page explique l’ensemble des réalisations et/ou productions à accomplir pour obtenir le brevet. Voici quelques exemple du Carnet de brevets de 1952 :

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Vu de loin, le fait que le scoutisme inspire Freinet a de quoi étonner : comment ce communiste pacifiste a-t-il pu trouver du bon dans un mouvement qui semble détourner des habitudes militaires et qui se donne pour mission d’évangéliser ? Pourtant, il y a bel et bien des points communs entre ces mondes : dans un cas comme dans l’autre, on estime que le travail l’emporte sur le jeu, et que c’est en donnant des responsabilités aux jeunes qu’on les formera le mieux.

Les expériences de l’Ecole moderne

En juin 1946, Célestin Freinet publie dans L’Educateur un article intitulé « Pour la modernisation du contrôle et des examens », dans lequel il décrit les premiers brevets de l’Ecole moderne. Il se répartissent en trois catégories :

  • brevets pour conquérir la vie ;
  • brevets pour conserver la vie ;
  • brevets pour transmettre la vie.

Ces trois parties sont inégales, la première étant de loin la plus développée ; une lecture attentive des consignes montre la difficulté qu’éprouve le maître à quitter ses habitudes d’examen.

En janvier 1949, dans la Brochure d’éducation nouvelle populaire, Freinet renouvelle ses critiques à l’égard des « examens en général et du CEPE en particulier ». (CEPE = Certificat d’études primaires élémentaires). Il va alors ébaucher un nouveau système d’évaluation, composé de deux éléments :

  • les brevets, inspirés par les pratiques scoutes ;
  • les chefs-d’oeuvre, inspirés par corporations médiévales et les Compagnons du devoir ; il doit cette idée à un instituteur des Pyrénées nommé Dutech, dont il relate l’expérimentation.

Il illustre son propos par un « brevet de cuisinier de 1ère classe », expérimenté en classe, et livre, enfin, la liste détaillée des « Brevets établis en corrélation avec la plan général de travail de l’ICEM » ; il y a alors 10 brevets « obligatoires », 21 brevets « accessoires », et 4 brevets « de spécialités » ; Freinet détaille pour chacun les connaissances à manifester et les épreuves à passer ; un badge a été créé pour chacun. Quelques exemples :

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En décembre 1965, l’Educateur publie un dossier sur le sujet. Vingt ans de pratique permettent à Freinet d’en donner une vision critique, ce qui fait de cet ouvrage un document extrêmement précieux. C’est sur ce texte que j’ai fondé ma réflexion et ma conception des brevets.

Dans mes classes

Ce mode d’évaluation concernait évidemment mon groupe de 5ème, qui débutait ; pourtant, j’ai choisi de l’étendre aussi à mes 4ème, dont le mode d’évaluation (en îlots bonifiés) ne me convenait pas ; il m’a semblé que, pour mes 3èmes, il était trop tard pour un si grand bouleversement de leurs habitudes.

J’ai reproduit le modèle proposé par Freinet : les brevets détaillent un ensemble de connaissances et de procédures ; ils sont validés par la production de chefs d’oeuvre ; des « semaines des chefs d’oeuvre », consacrées à ces productions, sont mises en place 6 à 8 fois dans l’année, selon le volume horaire de la classe.

Restait à concevoir les brevets en eux-mêmes : ce ne fut pas une tâche facile.

Mise en oeuvre, version 1

Dispositif d’origine

J’ai tout d’abord défini 6 objectifs du cours de langues anciennes – 3 en langue, et 3 en civilisation :

  • lire et réciter des textes (langue) ;
  • expliquer, analyser un texte (langue) ;
  • traduire (langue) ;
  • avoir des repères historiques (civilisation) ;
  • connaître la mythologie (civilisation) ;
  • découvrir un autre mode de vie (civilisation).

Il en est sorti 6 « métiers » : Aède, Grammaticus, Traducteur, Historien, Mythographe et Archéologue. Pour chaque brevet, j’ai établi 4 niveaux de maîtrise : Débutant, Connaisseur, Expert, Maître. Six métiers sur quatre niveaux, vous connaissez vos tables de multiplication, ça fait vingt-quatre brevets – et c’est déjà beaucoup. Il m’a semblé raisonnable de fixer comme objectif l’obtention du niveau Connaisseur dans les six métiers d’ici la fin de la 3ème, ce qui fait 12 brevets en trois années – et garantissait une formation assez honnête à chacun de mes élèves, tout en permettant aux plus motivés et dynamiques d’aller plus loin.

J’ai alors conçu une « table synoptique », collée dans les cahiers, décrivant comment obtenir ces brevet et permettant d’en matérialiser la validation.

BrevetPersoTableSynoptEx

Avec un objectif de douze brevets en trois ans, il me fallait ménager au moins 4 « semaines des chefs-d’œuvre » par an ; pour avoir longuement pratiqué les travaux libres en cours de français, je sais que les débuts sont toujours lents et chaotiques, mais que le travail s’accélère en fin d’année : dans la programmation annuelle, j’ai donc réservé 6 semaines « des chefs d’oeuvre » pour les 5èmes, et 8 pour les 4èmes.

Et vogue la galère…

Ecueils

Avant même de commencer, quelque chose me chiffonnait : cette « table synoptique » ressemble furieusement à un descriptif de ceintures ; j’ai évoqué mes réticences vis-à-vis de ce mode d’évaluation dans un billet précédent sur « 4 façons d’évaluer sans noter ». Cependant, je ne voyais pas bien comment procéder autrement : si mes élèves ne pouvaient obtenir un brevet qu’au niveau maître, ils ne risquaient pas d’en valider !

Je m’attendais à ce que les élèves se jettent massivement sur les brevets d’Aède et de Mythographe ; mais les élèves ne sont jamais où on les attend… Tous groupes confondus, un seul élève a choisi Mythographe, et n’a jamais réussi, en trois tentatives, à valider le niveau Débutant. Beaucoup ont effectivement opté pour Aède ; j’avais préparé des textes dans lesquels ils pouvaient piocher mais, lassée de les entendre me demander la lecture (ils ne comprennent pas la leçon sur la prononciation), j’ai fini par les enregistrer, pour qu’ils puissent les écouter à leur convenance ; presque tous ont validé le niveau Débutant, quelques-uns le niveau Connaisseur. Ma grande surprise est venue du brevet Traducteur, qui m’a été réclamé dès la 1ère semaine des chefs-d’œuvre par des 5èmes qui n’avaient pas acquis les connaissances nécessaires pour le faire. Je me suis donc retrouvée à produire… des versions, et j’ai reconnu là un écueil dont Freinet avait parlé : le chef-d’œuvre n’était rien de plus qu’une évaluation écrite.

Et puis il y a eu deux élèves de 4ème, très créatives et très peu scolaires, qui n’arrivaient à se projeter dans aucun brevet. A la troisième session, elles ont commencé à détourner le brevet Architecte pour le plier à leurs compétences ; cela m’a permis de réaliser que tous mes brevets tendaient vers un chef-d’oeuvre abstrait, d’où leur transformation en évaluation sommative très classique. Elles étaient aussi gênées par le rythme imposé ; trois séances de suite, c’était trop serré pour se procurer le matériel nécessaire, et trop court pour achever le projet. Et le problème se reproduisait dans tous les groupes : le temps qu’on organise le travail, c’était déjà fini – et la frustration était immense, pour eux comme pour moi.

Pistes d’amélioration

Chez les 4èmes, nous avons rapidement modifié le rythme : au lieu d’avoir 8 semaines des chefs-d’œuvres dans l’année, nous avons opté pour une « journée créative » tous les quinze jours. Ça réduit considérablement le temps consacré aux chef-d’oeuvres (à l’année, 16 heures au lieu de 24), et ça oblige les élèves à organiser eux-mêmes leurs projets. J’aime autant vous dire tout de suite que ça pose aussi problème ! On n’apprend pas la gestion de projet d’un claquement de doigts… Bref, je voyais bien que la question du rythme et de la durée n’était pas résolue.

On touche là, au fond, à la grande différence entre les enseignements primaire et secondaire : l’emploi du temps, celui qui rend si difficile la mise en oeuvre de la pédagogie Freinet au collège et au lycée. Une seule solution : me libérer du modèle, et agir en fonction de mes contraintes.

Mais ces brevets restaient une évaluation déguisée – et une évaluation par ceintures. Il fallait les refaire et pour cela, je suis revenue aux sources, et j’ai consciencieusement épluché le Carnet de brevets scout, avec une idée fixe : obtenir un chef-d’œuvre concret en détaillant la procédure à suivre.

Mise en oeuvre, version 2

J’ai déjà dû évoquer tout l’amour que j’ai porté à mon livret d’apprentissage du latin ; m’en séparer fut un crève-cœur, et il me semble que les brevets m’offrent une occasion de prendre ma revanche.

Dispositif corrigé

Il y a désormais 30 brevets (oui, 30 !), répartis en 6 sections inégales : coopération ; morphologie ; oral ; traduction ; expression ; création. Ces brevets son réunis dans un livret de 10 feuilles qui s’appelle, bien sûr, Carnet de brevets.

CarnetBrevetCouv

Brevets de coopération

Cette année, j’ai voulu permettre aux élèves d’apprendre un à un les rôles du conseil de coopération en créant un cursus honorum ; cette tentative s’est soldée par un échec, comme je l’ai raconté ici.

Or il m’est soudain apparu que la capacité à assumer un rôle au conseil pouvait faire l’objet de brevets et que ce serait sans doute plus efficace que la multiplication des dispositifs. Questeur (gestion du temps), Edile (secrétariat), Prêteur (distribution de la parole) et Consul (présidence) ont été un peu modifiés par rapport à la version originale dont je n’étais pas satisfaite ; et pour inciter chacun à aider l’autre, je leur ai adjoint un brevet d’Auxiliaire (coopération), assez facile à obtenir.

BrevetAuxiliaireBrevetQuesteurBrevetCoopConsul

Brevets de morphologie

Une reprise améliorée de mon livret d’apprentissage. Objectivement, Fléchisseur (pour la déclinaison), Conjugueur (pour la conjugaison) et Linguiste (pour l’étymologie) sont de loin les plus durs à obtenir.

BrevetMorphoConj

Brevets d’oral

Reprise du précédent brevet d’Aède, dont j’ai évacué la question du « r » roulé : c’est un son trop difficile à obtenir pour certains, et son intérêt réel ne me saute pas aux oreilles (désolée, Germain) – alors que l’accent tonique et la quantité des syllabes ! Barbare (prononciation générale), Pérégrin (accent tonique) et Aède (scansion) définissent trois niveaux de maîtrise. Et comme je pratique les deux langues, j’ai introduit la notion de « spécialité » : latin ou grec ancien.

BrevetOralPeregrinBrevetOralAede

Brevets de traduction

Un petit mélange entre les compétences du livret d’apprentissage et le brevet Traducteur.trice de la version précédente ; d’où quatre niveaux de maîtrise : Débutant, Confirmé, Expert, Maître. Puisque j’avais ouvert les spécialités, j’ai laissé cette possibilité ; depuis, j’ai réalisé que je n’avais pas dédoublé les brevets de morphologie et que, de fait, certains brevets de traduction seront impossibles en grec. Si le cas se présente, j’aviserai ; si vous voulez utiliser le livret, pensez à le modifier.

BrevetTradExpert

Brevets d’expression

J’ai déjà expliqué dans ce billet pourquoi s’exprimer en langue anciennes, à l’écrit ou à l’oral, me paraît une chose essentielle, et pas seulement la marotte de quelques happy few (ou d’une prof azimutée comme moi). Ce type de brevets manquait dans la version précédente ; ceux-ci sont un condensé de toutes mes pratiques en la matière depuis 2011, d’où leur apparente disparité :

  • Interprète fait part belle à la récitation de textes authentiques ;
  • Interlocuteur valorise ceux qui savent « dire des trucs en latin » –  à condition qu’on les comprenne ;
  • Expéditeur s’obtient en rédigeant une lettre (avis à ceux qui prennent part à Epistulae  ) ;
  • Ecrivain, le thème libre, s’inscrit dans mes recherches sur la méthode naturelle de lecture-écriture en latin – dont je vous reparlerai sans doute en septembre.

BrevetExpExpediteur

Brevets de création

10 brevets permettent désormais aux élèves fâchés avec la langue de faire valoir leurs connaissances autrement : Mythographe, Historien, Conférencier, Reporter-Photographe, Cinéaste, Architecte, Mosaïste, Herboriste, Cuisinier et Musicien. Comme la plupart de ces brevets s’ouvrent sur des recherches à effectuer, je leur ai ajouté le brevet Archiviste, qui les habitue à varier leurs sources.

BrevetCreaArchivisteBrevetCreaConferencier

 

BrevetCreaMosaisteBrevetCreaHerboriste

 

Cette nouveauté résout le problème que me posait le livret d’apprentissage (pas de civilisation) et ouvre une voie aux élèves fâchés avec l’abstraction. En revanche, certains reposent largement sur un travail personnel effectué à la maison (Herboriste et Cuisinier, par exemple) ; il va donc falloir aider ces élèves à gérer leur projet.

La dernière page

Vous l’avez vu sur les quelques brevets dont la photo est insérée, il y a, en bas de chaque page, un encadré qui signale la date de validation. J’ai pensé, cependant, que ce serait bien pour les élèves d’avoir une vision synthétique des brevets obtenus ; la dernière page ressemble donc à ceci :

BrevetSynthèse

Je note ainsi les brevets obtenus au fil de leur validation ; l’étoile peut être coloriée, mais j’ai dans l’idée, pour parler franchement, de concevoir des autocollants comme autant de badges – quand j’aurais du temps à perdre (ou bien une nuit d’insomnie).

Difficultés rencontrées

Le premier problème qui se présente est la question du vocabulaire de l’outil : la confusion entre les brevets LCA et le DNB est permanente, tout comme celle entre le livret et le carnet de liaison. Dès que je dis : « Ramène-moi ton carnet« , je lève les yeux sur un élève terrifié qui se demande quelle faute il a bien pu commettre… Bref, il va me falloir un nouveau nom pour ce machin.

Puisqu’on est à la question du vocabulaire, j’admets que je ne suis pas toujours satisfaite du nom choisi pour chaque brevet… choisir, c’est renoncer ? (coucou Cathy)

Enfin, maintenant que les nouveaux brevets sont lancés, je réalise que je n’ai pas conçu les outils de suivi… à part la dernière page mentionnée ci-dessus. Pour l’instant, je suis donc contrainte à la prise de notes volantes pour savoir qui fait quoi, où, quand, comment et avec qui. J’a beau retourner dans ma tête les possibilités que m’offre Trello, logiciel que j’utilise souvent dans le cadre des plans de travail, je ne vois pas comment faire. Je n’ai pas non plus l’outil de suivi qui aidera chaque élève dans la gestion de son projet.

Si vous avez des idées pour tout ça, je suis preneuse !

La question du rythme des brevets n’est pas résolue pour le moment. Je profite de la fin d’année pour identifier les besoins à ce sujet. Pour l’instant, je penche pour la solution suivante : avancer le conseil de coopération dans la période pour fixer les brevets préparés (et les séances nécessaires en salle informatique) ; puis, au jour dit, faire une séance de validation des brevets, ce qui permet d’avoir mon appréciation, mais aussi le point de vue des camarades, et d’en faire un moment de partage.

Euh… ça prendra peut-être la semaine, du coup : la semaine des chefs-d’œuvre ne serait donc plus du temps de préparation, mais du temps de présentation et de partage.

Scout toujours !

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Comme toujours, les documents sont disponibles en intégralité sur la page Matériel.

Une dernière information pour conclure : Capsamea est désormais sur Twitter (@capsamea). Un moyen comme un autre de vous tenir informés de la parution (très aléatoire) de nouveaux billets !

9 réflexions sur “Scout toujours ?

  1. Vénus vénère (@StephaniDorfner) dit :

    Bonjour,

    J’ai lu avec énormément d’intérêt ton bilan sur ces brevets car je suis dans une démarche Freinet comme toi, mais bien sûr avec des différences, la beauté de ce métier. J’ai partagé de loin et sans te connaître les mêmes écueils : il est difficile de faire rentrer la pédagogie Freinet dans un carcan aussi figé que l’emploi du temps classique. Je me permets quelques remarques et surtout questions, ici, mais si cela t’intéresse, je suis pour une discussion plus poussée par mail.
    Pour ton carnet de brevets, pourquoi pas l’appeler le vade-mecum ?
    J’aime tout particulièrement tes brevets créatifs. J’avais personnellement axé sur les capsules vidéo en autonomie, mais je trouve tes idées plus poussées encore. En revanche, j’avoue être embêtée par l’acquisition des brevets, je suis en effet dans une réflexion sur l’évaluation et sur la course à l’acquisition qui me gêne dans l’éducation nationale. Je trouve que cela empêche la notion de plaisir dans le travail car il y a obligatoirement ou presque compétition ou jugement. Ton système néanmoins est bien loin des évaluations traditionnelles, bien sûr, et me semble dénué de jugement. Pour le coup, c’est moi qui suis allée un peu plus loin, ou en tout cas sur un autre terrain : j’ai cessé toute forme d’évaluation ( ni note chiffrée depuis longtemps, ni couleurs depuis cette année ), je me contente de donner des conseils, beaucoup, aux élèves. Ce serait trop long à expliquer ici et trop réducteur, mais voilà, tout ça pour te dire que je travaille également en brevets, sous une appellation et forme différentes, mais que je ne « valide » rien à la fin. Les élèves savent par eux-mêmes s’ils ont été à l’aise ou non et cela les responsabilise encore davantage. Du côté du professeur, cela ôte un problème de taille : le suivi des acquisitions ! A partir du moment où l’élève travaille tout ce qu’il veut en sachant qu’il ne doit pas  » réussir  » mais faire du mieux qu’il peut et apprendre, il n’est plus nécessaire de tout garder en note et comptabiliser. Surtout si on est dans une logique de cycle où les seuls moments où le couperet tombe sont les fins de cycle 3 et 4. Une fois que je me suis dégagée de cela, je t’avoue avoir ressenti un soulagement et une liberté pédagogique inestimable. Voilà ma modeste contribution… Je ne sais pas si cela peut t’intéresser.
    J’ai lu également que tu utilisais trello, un outil que j »aime particulièrement ( décidément nous avons beaucoup de points communs ). Pourrais-tu m’expliquer comment tu t’en sers pour les plans de travail ? Je n’y avais jamais pensé et j’aimerais bien voir ce que cela donne.
    Merci beaucoup pour ton partage, je m’en vais lire les articles plus anciens. A très bientôt ici ou ailleurs.
    Stéphanie

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    • capsamea dit :

      Comme je te comprends : ça ne tiendrait qu’à moi, je n’évaluerais jamais personne. Cependant, évaluer et transmettre les résultats fait partie de nos missions ; et dans mon cas, il y a une demande hiérarchique très claire. J’évalue donc différemment (avec accord du chef d’établissement), mais j’évalue.
      Merci pour l’idée « vade-mecum »! C’était logique pourtant, mais j’ai la tête dans le guidon. Avant que mes élèves le manifestent, je n’avais même pas réalisé que ce nom pouvait poser problème, c’est dire…
      Pour Trello, je vais passer par mail : le nom de mes élèves apparaît.
      Merci pour ce retour. C’est un plaisir de rencontrer d’autres doux-dingues, je me sens moins seule.

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    • desbullespedagogiques dit :

      Bonjour Vénus et merci pour ce partage d’expérience. La non évaluation, alors là, moi j’aimerais bien en savoir davantage ! Ce me semble un bel idéal mais qui rompt tellement avec l’enseignement traditionnel ! Et pourtant on touche là le point d’orgue de notre métier : le plaisir d’apprendre et de progresser.
      Comment fais-tu pour te rendre compte des progrès de tes élèves, de leurs besoins ?

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      • Stéphanie dit :

        Bonjour,
        Je pars du principe qu’en arrivant en 6è, l’élève doit apprendre, en plus des contenus notionnels, à être un collégien et que cela prend du temps. Pour moi, en 6è, les compétences transversales sont presque plus importantes que les compétences disciplinaires. A partir de là, je ne m’intéresse que très peu aux progrès des élèves sur la conjugaison ou l’orthographe ( sachant que ce n’est pas linéaire mais plutôt un long processus que l’on ne peut évaluer vraiment qu’en fin de cycle ). En revanche, je suis très attentive à l’attitude face au travail, aux outils personnels qu’ils mettent en oeuvre, au climat qu’ils créent dans une classe. Or, toutes ces compétences, aussi capitales qu’elles soient, ne sont pas évaluables ! On peut dire ponctuellement à un élève qu’il n’a pas mis tout en oeuvre pour progresser sur telle activité, mais c’est à peu près tout. Cela implique donc beaucoup d’explicitation de ma part et des élèves entre eux.
        Bien sûr, j’arrive facilement à voir leurs progrès ou non en réalité. Je travaille par compétences depuis de nombreuses années et je décèle rapidement les changements, les difficultés, les qualités puisque je passe mes heures de cours près d’eux. Au lieu de découvrir leurs travaux en les corrigeant le soir à la maison, j’ai assisté de près ou de loin à la conception du travail, dont je connais tous les détails ( les facilités, les difficultés rencontrées, l’aide demandée…). Je n’ai donc plus besoin d’apposer une couleur ( et encore moins une note, mais notre établissement est sans note depuis longtemps ). Je leur donne continuellement des conseils, je leur fais ouvrir les yeux sur leurs points forts et leurs points faibles. Ne pas évaluer ne signifie pas leur dire que tout va bien, au contraire, je peux être très franche car j’adopte un langage très objectif et neutre, sans jugement de valeur puisque je ne l’évalue pas. Je cherche à les responsabiliser et à leur faire trouver par eux-mêmes ce qu’ils doivent travailler en priorité.
        Le coeur du dispositif est en fait l’autonomie, la responsabilisation et l’auto-évaluation. A la fin d’une séquence, je leur demande de remplir une fiche bilan sur ce qu’ils ont appris, leurs difficultés, etc. Je la communique aux parents. En général, les élèves sont très exigeants avec eux-mêmes et très réalistes. Un élève qui ne sait pas conjuguer n’a pas besoin de multiples rouges pour le savoir…. Il en est largement conscient. Lors des bilans, ils me disent pour certains : je fais moins de fautes sur le présent, je comprends mieux les textes. Ils s’organisent et savent ce dont ils ont besoin. Je suis là pour les accompagner et parfois leur conseiller de ne pas faire que de la grammaire ou que de la lecture.
        C’est un peu long, mais j’espère que c’est clair. Je vais aller commenter ton blog pour que tu aies mon mail si tu veux d’autres informations. Disons, pour répondre de manière très succincte à ta question sur le progrès et les besoins, je suis assez contre cette notion de progrès qui t’amène forcément à une course. J’ai deux enfants, épanouis, qui progressent tous les ans de manière flagrante dans leur vie ( je ne parle pas de résultats scolaires ), mais je serais incapable d’évaluer en couleurs leurs progrès. Je n’ai pas besoin de ça pour savoir qu’ils progressent et eux n’en ont pas besoin pour progresser. J’ai repris la danse classique il y a deux ans. Je ne suis jamais évaluée, je sais ce que j’arrive à faire ou pas, je me situe par rapport à mes camarades plus ou moins objectivement mais c’est un autre problème. Je vois mes progrès, mais je serais incapable de me donner une couleur. Cela ne m’empêche pas de progresser et cela conserve ma motivation intacte. Je fais pareil avec mes élèves.

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  2. Stéphanie dit :

    J’ai monté une classe expérimentale, en 6è, coopérative et sans évaluation avec visite de l’inspection qui a adoré le principe. Le seul hic institutionnel : alors que je parlais de classe sans évaluation, il m’a été conseillé de trouver une autre expression pour éviter de faire peur. Finalement, j’utilise ta méthode de la feuille blanche que j’ai lue après ce commentaire… Mais il est vrai que j’ai réussi à obtenir ce privilège de mon chef d’établissement, avec la suppression des conseils de classe et le passage au semestre.
    Je te remercie encore. Je ne sais pas si mon adresse mail apparaît en revanche… J’ai changé d’identifiant mais c’est bien toujours le même électron libre de l’EN.

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    • capsamea dit :

      Waouh, je suis admirative. Tes collègues y participent aussi, alors ? Comment avez-vous monté ce projet, et en combien de temps ?
      J’ai ton adresse mail. Faut juste que je vérifie si j’ai encore des captures d’écran. Peut-être ce soir ; là, on atteint le moment de la journée où le manège se remet à tourner.

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  3. Stéphanie dit :

    Bien sûr, ce n’est pas urgent !

    Nous avons commencé avec un tout petit noyau car j’en avais assez de mettre en place une pédagogie ruinée par les pratiques de mes autres collègues. Comme tu le dis, c’est une mise en place très longue et acquérir de l’autonomie et de la responsabilité est un apprentissage très complexe pour l’élève. Or tous les ans, je devais tout refaire mais surtout me battre pour mettre en place mon organisation qui est trop différente de ce que les élèves vivent dans les autres cours. C’est usant et démotivant. Je suis en banlieue parisienne, la fatigue est omniprésente.
    Comme je ne peux pas suivre mes cohortes, sauf en latin, j’ai décidé d’impliquer mes collègues. Ce fut long mais deux m’ont suivie, puis trois en cours de route, puis… Me voilà à la tête d’une équipe plus ou moins engagée, mais qui a la générosité de me faire plaisir et de se soumettre à mes exigences. Nous avons supprimé les conseils de classe pour en faire seulement deux sous la forme d’un oral de l’élève qui commente son bulletin et prend des engagements. Cela fait 4 ans que je suis dans cet établissement, je travaillais déjà en coopération et différemment avant. J’ai d’abord fait les choses dans mon coin, puis impliqué mes collègues dans un nouveau regard sur la coopération, les îlots, les compétences, puis les volontaires se sont engagés et enfin cette année les résultats étant encourageants mais à confirmer avec une vraie expérimentation une équipe entière s’est montée.
    J’ai des collègues très ouverts et formidables, un chef qui ne pose que très peu de limites et une IPR qui pousse à ce genre d’expérimentations.

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  4. desbullespedagogiques dit :

    Merci encore une fois Capsamea pour cet article détaillé et pour le partage de ton travail. Je trouve que tes brevets sont devenus très intéressants et ça me donne du grain à moudre pour faire évoluer ma pratique.
    Maintenant, j’ai juste envie de dire : à quand les brevets en français ?

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